Les nouvelles formes de harcèlement moral

Le harcèlement moral au travail est une réalité qui touche de nombreux salariés, avec des conséquences graves, tant sur leur santé physique et mentale que sur l’équilibre des relations professionnelles.

Selon l’article 222-33-2 du code pénal et l’article L.1152-1 du code du travail, le harcèlement moral se caractérise par : « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »

Les agissements de nature à caractériser une situation de harcèlement moral en milieu professionnel sont nombreux et parfois complexes à identifier. Il peut s’agir de remarques dégradantes, d’isolement, d’une surcharge de travail intentionnelle, ou même encore d’une privation des moyens nécessaires à la réalisation des tâches confiées.

Parfois, le harcèlement est plus insidieux et il peut en réalité prendre plusieurs formes :

Il peut être moral ou sexuel, individuel ou institutionnel. Dans tous les cas, il repose sur une répétition et une intentionnalité qui créent un environnement de travail toxique.

Par un arrêt rendu le 21 janvier 2025 au sujet de l’Affaire « FRANCE TELECOM », la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue définitivement consacrer la notion de harcèlement moral institutionnel.

Cette notion est désormais caractéristique d’une politique d’entreprise conduisant à dégrader les conditions de travail de ses salariés à grande échelle.

Contexte de l’affaire :

Entre 2007 et 2010, France Télécom, devenue Orange en 2013, a mis en œuvre un plan de restructuration visant à réduire ses effectifs de 22 000 postes sur un total de 120 000. Cette politique a été associée à une série de suicides et de dépressions parmi les employés, soulevant des inquiétudes quant aux méthodes de gestion employées. Les dirigeants de l’époque ont été accusés d’avoir instauré un climat de travail délétère pour inciter les salariés à quitter l’entreprise.

En 2019, le tribunal correctionnel de Paris a reconnu les dirigeants coupables de harcèlement moral, une décision confirmée en appel en 2022. Les condamnés ont alors formé un pourvoi en cassation, contestant notamment la notion de « harcèlement moral institutionnel ». La chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois des anciens dirigeants, validant ainsi la reconnaissance du « harcèlement moral institutionnel ».

Cette décision tend à lutter contre les pratiques managériales abusives qui s’appliquent collectivement et qui peuvent s’illustrer par :

– Un management par le stress ou par la peur sur plusieurs salariés pris collectivement ;

– Un harcèlement stratégique qui vise à exclure les personnels dont l’âge, l’état de santé, le niveau de formation, ne correspondent plus aux nécessités de service et à leurs missions d’intérêt général ;

Par exemple, dans l’affaire France TELECOM l’objectif affiché de réduire les effectifs de 22 000 postes sur trois ans a conduit à des pratiques délibérées pour inciter les salariés à quitter volontairement l’entreprise, parfois par des méthodes psychologiquement destructrices.

– Des changements de poste non sollicités : Certains salariés étaient déplacés de leur poste sans justification ni préparation. Par exemple, des employés expérimentés ont été affectés à des missions dévalorisantes ou sans lien avec leurs compétences.

– Des déménagements imposés : Des salariés étaient transférés dans des agences très éloignées de leur domicile, parfois à des centaines de kilomètres, rendant leur quotidien professionnel et personnel insoutenable.

– Une mise à l’écart : Des employés étaient délibérément exclus des réunions, des communications et des projets d’équipe, renforçant leur isolement psychologique.

Cela signifie que le harcèlement moral n’est pas forcément individuel et ne résulte donc pas toujours d’une relation interpersonnelle entre un auteur et sa victime. Les agissements répétés peuvent également s’exercer sur l’ensemble du personnel, sans forcément qu’une intention de nuire soit caractérisée.

Ces pratiques managériales abusives, mises en place de manière systémique, ont conduit à un environnement de travail toxique. Les conséquences sur les employés ont été dramatiques, avec des dizaines de suicides, des dépressions sévères et de nombreux arrêts de travail pour burn-out.

Bien que cette notion avait été déjà largement consacrée en droit social, faisant écho à l’obligation, pour l’employeur, d’assurer la sécurité et la protection de la santé des salariés en prévenant tout risque et facteur de risques psychosociaux, il convient de souligner que la décision du 21 janvier 2025 reconnaît, pour la première fois, l’existence du harcèlement moral managérial ou institutionnel en matière pénale.

Pour mémoire le harcèlement moral de nature managériale avait été consacré par la Cour de cassation depuis un arrêt du 10 novembre 2009.

L’employeur tenu à une obligation de sécurité de résultat doit réagir en amont pour prévenir toute situation de harcèlement mais aussi en aval pour sanctionner tout comportement fautif d’un salarié auteur de méthodes de management mettant en danger la santé des autres salariés.

Pour en savoir plus, je vous invite à lire mes articles publiés en lien avec ce sujet :

https://www.village-justice.com/articles/obligation-securite-est-elle-toujours-aussi-contraignante-pour-employeur,30160.html